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Russie, Ukraine, 2022 : sortir de la guerre, un point de vue franco-russe (les intellectuels et la fraternisation en vue d’une paix durable)

Par Vladimir Yefimov, le 30 novembre 2022

J’ai regardé le 25 septembre l’intervention de Mme Ségolène Royal sur LCI (le 20h de Darius Rochebin) et je dois dire que je suis agréablement surpris de son discours face aux attaques acharnées des autres participants de l’émission, y compris du présentateur que je croyais intellectuellement honnête.

Il s’agissait de la possibilité et de la nécessité d’arrêter la guerre en Ukraine par la négociation, ce que Mme Royal essayait de faire entendre. Ses opposants l’attaquaient pour cette position en déclarant que la négociation n’était absolument pas à l’ordre du jour, et de cette façon ils étaient de fait implicitement en faveur de la poursuite de la tuerie des deux côtés et de la destruction des villes et des villages ukrainiens.

Suivant Mme Royal, les négociations doivent avoir lieu avec la participation d’intermédiaires. Elle regrettait que la France et l’Allemagne qui servaient d’intermédiaires dans les négociations de Minsk aient abandonné ce rôle. Elle a déclaré également qu’on ne sait pas les objectifs des Etats-Unis dans cette guerre. Pourtant, pour beaucoup, il est clair que « l’objectif américain est d’affaiblir la Russie jusqu’au bout »[1]. On peut voir le début de la préparation de cette guerre par les Anglo-saxons dès 2004 avec l’élection du Président Iouchtechenko, dont l’épouse était agent de la CIA[2]. Depuis cette époque, les États-Unis ont renforcé et armé les néonazis en Ukraine[3], néonazis qui servaient à propager l’hostilité envers la Russie dans le pays et à le préparer idéologiquement et militairement pour la future guerre avec celle-ci.

La guerre entre les États-Unis/l’OTAN avec la Russie sur le territoire de l’Ukraine, qui a donc été préparée depuis longtemps par les Américains, était inévitable, mais Poutine a commis une grave erreur en la lançant en premier, subissant ainsi immédiatement une défaite morale en assumant le rôle d’agresseur. Ces actions n’ont fait que jouer en faveur des néo-nazis ukrainiens avec leurs déclarations sur la Russie en tant qu’ennemi juré de l’Ukraine. Maintenant, sur la base du fait de l’agression, ils peuvent dire qu’ils avaient raison. Avant ces actions de Poutine, l’autorité de l’OTAN dans les pays de l’Union Européenne tombait, et la question de la création d’un système de défense européen indépendant des États-Unis était posée. Maintenant, la confiance des membres de l’OTAN dans son chef américain a augmenté. Les résultats négatifs de cette agression pour la Russie, entre autres choses, sont le renforcement de la version de l’identification nationale des Ukrainiens basée sur la russophobie et le renforcement de l’influence de l’OTAN sur l’Ukraine, dont les membres font maintenant preuve d’une solidarité sans précédent.

Il me semble que l’ordre social post-soviétique ukrainien avant l’agression de Poutine était à bien des égards similaires à l’ordre social russe des années 1990. Le même pouvoir des oligarques qui capturaient de manière douteuse les richesses nationales du pays, la même influence de l’Occident, en premier lieu des Américains, sur la politique intérieure et étrangère du pays, et la même montée, bien que plutôt marginale, des adeptes des tendances politiques d’extrême droite (en Russie, suivi du modèle du fascisme italien, et en Ukraine du nazisme allemand).

En Russie, en ce qui concerne l’extrême droite, il s’est passé quelque chose de très différent qu’en Ukraine. Ce ne sont pas les organisations d’extrême droite et leurs dirigeants qui ont obtenu de l’influence (il ne pouvait pas être question de leurs détachements armés en Russie), mais leurs idées. Peu à peu, avec l’avancée de l’OTAN vers l’Est et son approche des frontières russes, l’influence des idées de l’extrême droite fasciste russe sur le président Poutine n’a fait que s’intensifier[4]. Poutine a évolué dans ses préférences politiques, passant du désir d’adhérer à l’OTAN et à l’Union européenne à la confrontation militaire entre la Russie et les États-Unis dans le monde entier. En ce sens, on pourrait dire que Poutine, qui a attaqué l’Ukraine, est en grande partie le produit de la politique américaine.

Avant le 24 février 2022, il y avait un certain nombre d’incertitudes dans la définition de l’identité nationale des Ukrainiens. L’une de ces incertitudes tenait à leur attitude envers leur passé soviétique. Certains d’entre eux le considéraient comme une occupation russe ; d’autres ne pouvaient pas être d’accord avec cela. L’invasion russe a poussé ce désaccord à la périphérie, et actuellement l’élément déterminant de l’identité nationale ukrainienne est devenu leur désir commun de défendre leur indépendance vis-à-vis de la Russie et leur réticence à voir chez eux l’ordre social existant dans la Russie actuelle.

Comment arrêter cette guerre ? Tout d’abord, il faut bien se rendre compte qu’il s’agit d’une guerre par procuration des Etats-Unis contre la Russie[5]. Le gouvernement ukrainien actuel ne peut dévier de l’objectif américain d’affaiblir la Russie jusqu’au bout, d’où leur refus de négocier et la continuation la plus longue possible de la guerre, en espérant que cela mène à la victoire qui est perçue au minimum comme la chute du régime de Poutine. On voit bien que la proposition de Ségolène Royal d’organiser des négociations entre le gouvernement ukrainien et le gouvernement russe, c’est-à-dire avec Poutine, n’est pas réalisable, même si cela est absolument vital pour les deux peuples.   

Au lieu de l’organisation de pourparlers entre deux gouvernements antagonistes, il faut s’adresser directement aux deux peuples par l’intermédiaire des intellectuels de ces deux nations. La première condition pour arriver à la paix est la déconnexion de l’Ukraine de l’influence américaine. Les États-Unis ont vaincu l’URSS en 1991 sans un seul coup de fusil par le rêve de bien-être matériel et l’imposition d’une idéologie qui « expliquait » ce bien-être. La majorité de la population ukrainienne avant la guerre n’aimait pas beaucoup son propre régime ni la gestion américaine de leur pays, mais elle ne voulait pas non plus voir le régime russe actuel s’installer en Ukraine, d’où leur résistance. Si les intellectuels de l’Ukraine et de la Russie pouvaient offrir aux peuples de ces deux pays un rêve et une idéologie qui l’explique, et que ce rêve et cette idéologie leur plaisent, alors la « dénazification avec démilitarisation » de l’Ukraine comme condition de la sécurité nationale de la Russie pourrait être obtenue sans poursuite de l’« opération spéciale militaire ». Il faut que les intellectuels de ces deux pays, avec peut-être l’aide d’intermédiaires étrangers, engagent de toute urgence maintenant une telle action. Ces intellectuels devraient commencer un dialogue avec leurs homologues pour développer un appel aux deux nations. Le résultat de cet appel devrait être le début du processus de fraternisation des Russes et des Ukrainiens impliqués dans les combats. Cette fraternisation devrait entraîner un changement des gouvernements des deux pays, qui devront entamer des négociations menant à la paix.



[1] https://www.ladepeche.fr/2022/09/24/entretien-guerre-en-ukraine-lobjectif-americain-est-daffaiblir-la-russie-jusquau-bout-assure-un-specialiste-10590336.php
[2] https://www.afrique-asie.fr/ukraine-katerina-iouchtechenko-ancienne-premiere-dame-et-agent-de-la-cia/
[3] https://www.pressegauche.org/Comment-les-Etats-Unis-ont-renforce-et-arme-les-neonazis-en-Ukraine
[4] https://www.nouvelobs.com/russie/20220821.OBS62243/qui-est-alexandre-douguine-le-cerveau-de-poutine-potentielle-cible-de-l-attentat-qui-a-tue-sa-fille.html
[5] https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/les-etats-unis-menent-une-guerre-par-procuration-en-ukraine-1405707

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