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Pour une république souveraine laïque et sociale

Autopsie littéraire de la gauche française

Par Yvan Lebreton, le 18 janvier 2022

 

Autopsie littéraire de la gauche française
(sur Le Voyant d’Etampes d’Abel Quentin, éd. de L’Observatoire, 2021)

 

Je viens d’achever la lecture passionnante d’un livre très pauissant dans sa construction et très éclairant par sa brûlante actualité.

Le narrateur, Jean Roscoff, est un universitaire à la retraite qui aurait pu briller dans son domaine, l’histoire contemporaine des USA, mais l’Histoire se joue de lui et le condamne à différents échecs retentissants.

Jeune universitaire, il a entrepris un livre sur le fameux couple Rosenberg, ardemment défendu par Sartre et toute la gauche, mais deux jours après la parution de son livre, la CIA révèle de manière éclatante que les époux Rosenberg étaient bien des espions au service du KGB ! Son livre est retiré des librairies, Roscoff est seul à assumer un parti-pris idéologique que pourtant toute la gauche aurait dû endosser avec lui.

Retraité, il reprend, quarante ans plus tard, un projet de livre sur un poète étatsunien, familier des existentialistes et de Sartre, musicien de jazz, mort mystérieusement près de Paris, à Etampes : Robert Willow. Le narrateur voit dans ce projet un double couronnement, celui d’un poète injustement oublié, et surtout peut-être sa propre réhabilitation auprès de ses collègues universitaires. Pour lui, ce poète est un frère en poésie, un frère humain dont il peut comprendre et partager le parcours et les poèmes… Hélas, dans son ouvrage, Jean Roscoff indique de manière trop secondaire que Robert Willow est un Noir !

C’était ne pas tenir compte du « changement de paradigme » et de l’émergence puissante, furieuse et vengeresse du « wokisme » ! Comment un Blanc peut-il évoquer la situation d’un Noir, en faire un livre et une source d’éventuels revenus ? C’est de « l’appropriation culturelle » ! C’est la marque d’un racisme systémique, d’un esprit colonialiste, d’une domination blanche inacceptable ! Jean Roscoff a donc commis le crime d’« appropriation culturelle » ! Les militants woke et les réseaux sociaux se déchaînent, la presse et la radio amplifient la clameur indignée, les agressions matérielles à son domicile se multiplient, et finalement la fille de Roscoff, Léonie (si peu léonine), est brutalement agressée, comme un possible avant-goût de ce qui pourrait arriver à son père. Finalement, poussé par ses proches, pour sauver sa peau, Jean Roscoff sera conduit à faire son auto-critique sous contrainte woke, comme au temps de Staline, de Mao, de Pol-Pot…

Ainsi, et pour la seconde fois, l’universitaire Jean Roscoff est débouté par l’Histoire : cette fois-ci, il n’a pas été attentif à la montée d’un progressisme totalitaire qui entend régenter la pensée et la parole des Blancs, forcément coupables de tous les maux, les Blancs vus comme la source unique et universelle du mal. Échec retentissant, Roscoff est seul contre tous, abandonné de tous et particulièrement du monde universitaire, agressé et honni par des centaines de milliers de posts fulminants sur les réseaux sociaux. Son sentiment de fraternité avec un poète noir lui vaut cruellement une paradoxale condamnation universelle…

La fin du roman réserve une surprise de taille que l’on taira ici, qui révèle une ultime ironie de l’Histoire à l’encontre du narrateur…

Le personnage principal, Jean Roscoff, prend une allure d’antihéros quelque peu houellebecquien, il se voit en raté à tous les plans : affectif, intellectuel, moral, social, et même physique puisqu’il a sombré dans l’alcoolisme et qu’un AVC l’affaiblira davantage.

Ce roman est précieux par la peinture vraiment passionnante de deux générations : celle d’abord de la jeunesse de gauche avec SOS racisme dans laquelle le narrateur a milité. La dimension lyrique, joyeuse, généreuse s’accompagne d’un arrière plan moins reluisant, plus prosaïque : le sentiment vaniteux de sa propre supériorité morale, le goût pour le confort intellectuel des gagneurs, l’ambition de se faire une place au PS et peut-être à l’Elysée, et le désir de profiter sexuellement d’un positionnement avantageux… Abel Quentin brosse de cette période mitterrandienne un portrait cruel qui sonne juste, il le reprend plus tard dans le roman pour montrer la dérive libérale de tout ce beau monde qui se voyait au sommet de la morale…

Cette première génération va en rencontrer une seconde, celle d’une jeunesse très en pointe actuellement, « indigéniste », « décoloniale », « néoféministe », nourrie des « studies » étatsuniennes, bref : woke. Abel Quentin n’a pas davantage de tendresse pour cette génération qui pratique la dé-construction jusqu’à la destruction, qui fait de l’Occident la source de tout mal. C’est cette génération woke, imbue elle aussi de sa supériorité morale, qui va soulever un tsunami de haine et de proscription à l’encontre de Jean Roscoff. Il faut signaler deux points. Jean Roscoff est accablé par ce qui lui arrive, en souffre jusqu’à craindre pour sa raison, mais il sait se faire l’analyste de ce mouvement woke, il en comprend les ressorts en remontant jusqu’à Sartre, et même en aperçoit certains aspects pertinents : cet appel au respect, à l’égalité et à la justice. Il voit parfaitement la dimension totalitaire de cette idéologie, la violence effective de cette pureté dangereuse qui exige l’abolition de tout ce qui n’est pas elle. On le voit, le narrateur est subtil, mais avec un temps de retard, hélas pour lui.

Roman de deux générations, ce roman parcourt divers domaines de la vie sociale contemporaine, en montrant ce qui domine partout : la lâcheté générale, la peur de n’être pas « dans le sens de l’Histoire », d’être accusé de racisme, la recherche prudente du confort intellectuel et moral, l’impuissance intellectuelle à contrer une pensée radicale qui fait peu de cas de la complexité humaine, qui simplifie les rapports humains au chiffre 2 (nous le Bien, eux le mal) dans un manichéisme mortifère. Tout semble gangrené : le monde universitaire, la presse, le monde étudiant (« Califat autogéré. Internationale islamo-situationiste »), les syndicats, le monde de l’édition et, enfin, les réseaux sociaux vulgaires et fanatisés.

L’ensemble du roman pourrait être placé sous un vocable sartrien : l’inauthenticité. Jean Roscoff laisse croire que son nom vient de Bretagne, mais il est le résultat de la francisation d’un patronyme slave ; lors du fameux concert « SOS racisme » de juin 1985, Jean Roscoff et son ami se font passer pour des rockers anglais pour obtenir les faveurs de demoiselles naïves ; leur engagement antiraciste est traversé d’ambitions et d’une volonté de se placer. En ce qui concerne le wokisme, le narrateur entrevoit sa volonté nihiliste, sa fureur à la Saint-Just, sa volonté d’abolir toute pensée alternative, toute altérité, toute complexité, et son insupportable sentiment de supériorité morale ; les tenants de ce mouvement de « déconstruction » visent davantage la destruction, sans imaginer avoir à en supporter les conséquences…

Ce livre est admirablement écrit et composé. La dimension dystopique est pourtant traversée de moments d’humour noir (peut-on encore conserver cette expression ?), ainsi de la scène à la radio nationale présentée deux fois avec un joli sens de la catastrophe…

Je le redis, un livre très prenant, puissant, qui a le mérite de nous éclairer sur notre temps, sur les soixante dernières années de vie française !

 



[1] Site : www.yvan-lebreton.com
Page Facebook : 
https://www.facebook.com/Litt-et-Nature-116685033980763
Association Loi 1901 : Litt’ et Nature

6 commentaires

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