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Pour une république souveraine laïque et sociale

Discours de présentation de Nation & république sociale

Par Jérôme Maucourant, le 4 octobre 2018

Jérôme Maucourant est le président de Nation & République Sociale, et spécialiste de Karl Polanyi. Il est notamment l’auteur d’ »Avez-vous Polanyi ? » (Flammarion, 2011) et contributeur à l’ouvrage collectif « Peut-on critiquer le capitalisme ? » (La Dispute, 2008), il s’intéresse à l’histoire des idées économiques et aux différentes formes que revêt le capitalisme.

Permettez-moi de remercier vivement Gil Delannoi d’avoir accepté notre invitation ; celle-ci s’imposait, à l’évidence, tant son dernier livre rencontre l’un des fondements de notre association : penser la nation comme organisation politique du peuple selon la démocratie. Or, rien ne semble arrêter les ambitions de l’élite dirigeante impliquant désormais ouvertement l’effacement de la France comme nation au sens où nous l’entendons.

 

Contre cette politique qui rencontre l’assentiment de cercles en principe opposés au pouvoir en place, Nation & République Sociale se propose de promouvoir le républicanisme social, ce qui implique de défendre le travail, l’État social et la transition écologique, c’est-à-dire la transition vers une économie circulaire, sans laquelle notre espèce disparaîtra en ayant détruit les conditions mêmes de sa reproduction. Plus encore, nous voulons contribuer à une critique raisonnée du multiculturalisme, cette idéologie même du capital global. Ceci implique de souligner la pertinence, aujourd’hui encore, d’un féministe laïque et universaliste combattu durement par les multiculturalistes au nom de la lutte contre l’ « oppression blanche » ou « laïque ». Enfin, contre les tendances transnationales de l’époque contemporaine, que les idéologues présentent comme des nécessités, N&RS est partisan de la libre association des républiques contre toutes les entreprises fédérales ou hégémoniques qui visent à établir ces prisons des peuples afin que l’argent règne en maître. En bref, il faut œuvrer pour l’internationalisme et la coopération, contre le transnationalisme et se souvenir de Rousseau écrivant :

« Défiez-vous de ces cosmopolites qui vont chercher au loin dans leurs livres les devoirs qu‘ils dédaignent de remplir autour d‘eux. Tel philosophe aime les Tartares pour être dispensé d’aimer ses voisins ».

Voici donc résumés à grands traits les axes constitutifs de notre démarche. Nous nous sommes rassemblés et organisés parce qu’aucune force politique ou cercle intellectuel ne porte toutes réunies ces exigences fondamentales. Certes, beaucoup d’entre nous sont membres, viennent du Mouvement Républicain et Citoyens ou en ont été des « compagnons de route », et nombre de clubs ont pu graviter ou subsister autour de ce parti, petit électoralement mais riche intellectuellement.

Mais, aucune rupture définitive n’a été faite avec le Parti Socialiste qui n’a cessé de dériver depuis l’été 1982. Avec la « pause » décrétée alors par Jacques Delors, l’eurolibéralisme triomphe, puis le communautarisme, avec ce qu’il contient de mortifère en terme de clientélisme et de différentialisme : voici les substituts à la politique de transformation socialiste. Les idées portées par cette mouvance qui se voulait républicaine et socialiste auraient dû conduire à la rupture avec cette forme hexagonale de social-démocratie qui est sans doute la pire de toutes, le PASOK ou SYRISA exceptés. Il n’en fut rien en raison des logiques de carrière politique et de cette impossibilité à penser la signification de la mondialisation des années 1990.

Pourtant, il aurait été possible de réanimer la critique républicaine et socialiste grâce à l’écologie. En se souvenant que les républicains antiques comprenaient déjà que s’abandonner à la quête de l’argent et des utilités, c’est se détourner de la vie politique. Ne sont-ce pas les tyrans qui encourageaient la recherche du luxe chez leurs sujets ? Leçon actuelle : les régimes tyranniques contemporains n’ont que faire de l’homme libre et lui préfèrent la croissance économique, le luxe disait-on autrefois, cela, à tout prix, au prix donc de la dévastation de la nature. De façon à nourrir les petits tyrans que nous sommes : l’historien Claude Nicolet écrivait que la république est une méthode contre cette inclination à la toute-puissance, trop humaine et bien infantile.

Mais, rien n’y fit : l’esprit du capitalisme et la quête des place furent plus forts que tout réexamen théorique. Il en va de même du communautarisme : finalement, on s’est peu soucié du recul extraordinaire de la place de la femme que contiennent les revendications communautaristes, pour peu que les alliances électorales se fissent. Après tout, des intellectuels de « gauche », dès la fin des années 1980, ne se faisaient-ils pas les avocats de la dépénalisation de l’excision ? Il s’agissait d’anthropologues ou de sociologues qu’on pouvait certes lire avec profit sur leur champ de spécialité, ce qui aurait dû nous alerter sur la crise de la gauche et de la notion même d’ « intellectuel ». Mais, les voilà qui renvoyaient l’homme ordinaire à l’idée que si l’économie allait mieux, eh bien, disparaîtraient comme par enchantement ces inquiétantes évolutions culturelles. L’économisme fut et reste ainsi le support de la lâcheté politique, ce qui est d’autant plus étonnant de la part de sociologues. Mais, ils font la part belle à l’économisme quand cela arrange leur dispositif idéologique …

Nous ne voulons plus transiger avec les principes essentiels qui nous animent et voulons les adapter au contexte de ce siècle. Tentons d’organiser partout où c’est possible ce genre de débat pour que la politique redevienne une affaire sérieuse et non un amusement profitable à des calculs électoraux. Soulignons aussi que, bien qu’issus d’un mouvement de gauche, notre ambition n’est pas de construire quelconque parti.

Je ne caractérise pas N&RS comme un espace « de gauche » car le mot est devenu polysémique : ce mot a-t-il un sens clair à un moment où certains, « à gauche » n’ont pas de problème sérieux avec le drame de l’excision ou le voile intégral ? Ou avec ce retour de la pudibonderie qui séparent les femmes « vertueuses » des indignes ? Ou qui ne s’alarment pas de la place subordonnée faites aux femmes au nom d’une « modestie » qui leur serait naturelle ? La gauche d’il y a un siècle aurait parlé de pensée d’extrême droite ! Oui, les ligues de vertu ont de beaux successeurs, ce sont nos présents ayatollahs de la crucifixion médiatique à la pensée pure.

Pire : être de gauche, de plus en plus, c’est prendre cette posture permettant d’excommunier et d’ostraciser au nom de la morale quiconque ose émettre quelque remarque sur les dernières dérives de l’époque, toujours présentées, bien sûr, en nec plus ultra de l’émancipation. Et enfin, est-ce être de « gauche » que de sacrifier l’avenir des peuples du Sud aux exigences de l’actuel ordre européen et d’aller chercher, auprès de Madame Merkel, une preuve de « crédibilité » à l’international, comme le fit un candidat « socialiste » en 2017 ? Alors, au lieu de querelles byzantines sur l’essence de la gauche, je préfère mettre en avant un « souverainisme social » lié à la capacité de tous à façonner leur destin, en dehors des assignations en tout genre dont nous accable une nouvelle cléricature. Ceux qui veulent, dans ces conditions, repenser la gauche peuvent ainsi nous rejoindre.

J’aimerais insister sur un point décisif : nous avons bien conscience de la dimension provocatrice de mettre en premier dans notre nom ce mot maintenant controversé de nation. Certains ont même refusé de venir au prétexte que ce simple mot suscitait « allergie » ou « peur » : à dire vrai, peu nous importe ceux qui ne veulent pas discuter les concepts ou se laissent guider par la crainte. Notre triste époque implique pourtant de penser et de se gouverner si nous prétendons réfléchir sérieusement aux choses publiques. Et si, comme Gil Delannoi l’écrit si bien, il faut choisir entre l’empire, la tribu ou la nation, notre choix est vite arrêté !

Ce qui nous a réuni est en effet ce constat : il existe un désir répandu dans la société politique de nier la pertinence même du fait national : l’actuel président de la République n’a-t-il pas déclaré qu’il n’y pas de culture française mais des cultures en France, fidèle en cela au multiculturalisme d’État inventé par la dynastie Trudeau ? Plus généralement, on soutient souvent que la nation serait une notion inepte en raison de contraintes économiques liquidant les frontières et dissolvant les souverainetés. A droite comme à gauche se déploie donc une vulgate de la table rase et de la soumission joyeuse à une évolution supposée.

On comprend bien sûr que les intérêts dominants des sociétés, qui tirent de grands profits de la mondialisation, produisent et entretiennent ce discours pseudo-évolutionniste. Détruire la nation est une façon efficace d’en finir avec ces solidarités concrètes qui permettent d’incarner les idéaux de la justice sociale. Et l’on investit le marché de faire ce que la redistribution publique ne serait plus à même d’effectuer. Il est exact que le principe de la redistribution va perdre en légitimité car l’acceptation des prélèvements est crucialement liée à un sentiment de solidarité politique. Et ce qui est perdu au niveau national ne sera pas gagné à une autre échelle : l’Allemagne ne paie pas pour la Grèce en cas de nécessité comme d’ailleurs elle n’honora pas des dettes de guerre, la géopolitique lui permettant de se soustraire à cette obligation morale. Il n’y a pas de peuple européen, donc pas de souveraineté qui tienne ici.

Il peut sembler étonnant qu’une certaine gauche, qui se veut « à gauche », véhicule les mêmes représentations : n’en soyons pas surpris. Souvenons nous que Marx, dans un élan économiciste, disait déjà voter pour le libre-échange « afin de hâter la révolution sociale ». Si seules comptent, en effet, les déterminations économiques, alors mieux vaut se débarrasser des institutions politiques qui sont pensées comme un frein à la venue du meilleur des mondes : une humanité sans frontière. Voici en substance le nouvel évangile de nombre de banquiers ou d’universitaires : réconcilier l’Intérêt et l’Amour. En revanche, Jaurès, qui croyait en l’autonomie du politique, défendait déjà la nécessité d’un certain protectionnisme. L’internationalisme de Jaurès supposait des nations vivaces, mais une part de la droite et de la gauche est acquise au transnationalisme, c’est tout autre chose !

Or, en dépit des appétits des classes dominantes et de leurs intellectuels en forme d’idéologues, voici les faits : si l’homme produit en société, il produit aussi de la société pour vivre. Cela fait émerger des singularités propres à un être social et des intérêts spécifiques. Écrivant en 1905, contre ceux qui s’acharnaient à détruire l’idée de patrie, Clemenceau affirmait que, s’ils avaient réfléchi quelque peu :

« Ils comprendraient que la suppression de la patrie ne détruirait pas le fondement universel de l’égoïsme humain, ne changeant que la forme des manifestations de violences inhérentes à l’homme, seul ou associé. Que la patrie disparaisse […] et l’homme n’en sera pas moins en lutte contre l’homme avec de nouveaux groupements – de quelque nom qu’on les décore – en hostilité d’appétit, d’intérêt, avec d’autres groupements ».

Clemenceau, prophète inquiet du communautarisme ! Mieux vaut donc la nation politique que les chimères créatrices de cette dissociation de la France en communautés haineuses en quête de « respect » et de dissertations sur les « sensibilités blessées » ! Qui un jour seraient capables de l’irréparable.

Permettez-moi, pour conclure, de revenir sur N&RS : bien qu’issu d’un mouvement de gauche, nous ne sommes pas un parti politique. Pour autant, notre association n’a pas vocation à être un simple cercle de réflexion. Nous entendons, donc, procéder à une diffusion pour le plus grand nombre des idées que nous portons et désirons participer activement au débat politique. Nous souhaitons enfin constituer un lieu de discussions et d’échanges ouverts à tous ceux qui partagent nos valeurs, notamment via notre site internet qui sera très prochainement en ligne.