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Pour une république souveraine laïque et sociale

L’Italie, retour aux urnes, pour quoi faire ?

Par Frédéric Farah, le 11 août 2019

Depuis 2011, l’Italie connait une interminable instabilité gouvernementale. Après le « coup d’Etat » organisé par la BCE et les institutions européennes pour faire chuter le gouvernement Berlusconi, l’Italie a été gouvernée par des équipes sans légitimité démocratique : les gouvernements Monti, Letta, Renzi, Gentiloni.

La présente coalition entre la Ligue et le Mouvement 5 étoiles pour la première fois, représentait la majorité des italiens. La loi électorale de 2017, faut-il le rappeler a été pensée pour empêcher l’émergence de majorités stables et solides au moment où les deux mouvements montraient une popularité croissante. 

Le gouvernement de coalition pouvait au moins s’enorgueillir de représenter la majorité des italiens. Mais le contrat de gouvernement entre ces deux partis, reposait sur des bases fragiles tant les électorats, les stratégies et l’idéologie leur semblaient divergentes. Aux yeux des observateurs un peu lointains, le Mouvement 5 étoiles représentait le côté social et environnementaliste du gouvernement et celui de Matteo Salvini, la droite sécuritaire plus qu’identitaire, désireuse de régler la question migratoire séance tenante.  La Ligue, estimant que l’Italie accueillait le plus de migrants sur son territoire et qu’elle ne bénéficiait guère de la solidarité européenne, quitte à prendre quelques libertés avec le réel. Économiquement, la Ligue espérait aussi, un choc fiscal en recourant à la « flat-tax », censée re-dynamiser l’investissement. 

La coalition se trouva flanquée de deux vice-présidents du conseil et un président du conseil au faible poids politique et inconnu jusque-là, G. Conte. Cet appareillage politique dès sa formation buta sur la seule question qui conditionne le reste : la question européenne.  

Le président de la République, S. Matarella, fit barrage à la constitution d’un gouvernement dont le possible ministre de l’économie, en l’espèce, Savona, était connu pour son  hostilité à l’euro.  Après moultes tractations, il lui fut préféré le ministre Tria, plus euro compatible. 88 jours furent néanmoins, nécessaires pour faire naître le gouvernement.  Pour la précision, ce gouvernement est apparu plus jeune que les précédents avec une moyenne d’âge de 46 ans. 

Mais la question européenne ne se laisse pas éluder de la sorte, à deux reprises, la coalition a rencontré l’opposition des institutions européennes, quant à l’élaboration de la programmation de la loi budgétaire italienne. Les procédures d’infraction furent de justesse évitée, le gouvernement italien, procédant à des aménagements plus ou moins significatifs de ses projets économiques. 

Mais l’unique année de vie de ce gouvernement a été marquée par un activisme certain, même si l’opposition issue du parti démocrate n’a eu de cesse de dire que le pays n’était pas gouverné.  

Une partie des opposants à ce gouvernement, qu’ils soient politiques ou journalistiques ou issus du milieu des affaires ont entrepris une véritable opération de discrédit du gouvernement, évoquant l’incompétence, la propension à la dispute. Nombre de papiers ont circulé dans la presse pour expliquer que le présent gouvernement conduirait l’Italie à la faillite et lui ferait perdre de sa crédibilité dans les instances européennes. 

En somme, il s’agissait d’espérer l’échec de l’expérience pour espérer un retour des politiques précédentes, à savoir un certain libéralisme,  fait de soumission à l’Union européenne. 

En un an, le gouvernement a mis en place des mesures phares dont les effets requièrent encore une évaluation : le décret « dignité » pour mieux encadrer le marché du travail, le revenu de citoyenneté, et la remise en cause partielle de la loi Fornero de l’époque Monti qui avait aggravé le sort des retraités italiens. En matière de sécurité et d’immigration, le gouvernement a suivi la ligne de la Ligue par différents paquets sécuritaires, visant entre autres les ONG et leurs actions en matière migratoire. 

Plus de dix projets de lois furent conduits pendant l’année. Une année qui fut marquée aussi par l’inversion des tendances électorales puisque le Mouvement 5 Etoiles a connu des déconvenues importantes aux élections municipales et un score médiocre aux européennes. A l’inverse, la transformation de la Lega parti régionaliste en parti national a été réussie par M. Salvini puisqu’après une année aux affaires, sa popularité dans l’ensemble du pays est nette et les européennes l’ont renforcé. 

Di Maio , le dirigeant du mouvement Cinq étoiles n’a pas réussi à faire le poids face à Salvini , organisant de manière moins satisfaisante l’articulation entre le travail des ministres de sa formation et les parlementaires. Tenant une ligne politique parfois brouillée, comme en matière européenne, laissant apparaître un souverainisme intérieur et un européisme extérieur en soutenant à la surprise de toute la candidature de Madame Von der Leyen à la tête de la Commission, suscitant l’ire de la Ligue, elle aussi peu claire sur la question. 

Di Maio n’a pas su s’imposer face au madré Salvini, et n’a pu dicter son calendrier politique et idéologique. Sa formation apparaît discréditée alors qu’elle n’a pas démérité dans la conduite des affaires. 

Les élections anticipées risquent de hâter sa marginalisation et de représenter un nouvel espoir déçu en Europe au même titre que Syriza ou Podemos, en leur temps, mais pour des raisons différentes.  

Mais la loi électorale de 2017 ne se laisse pas défaire facilement, la Ligue probable vainqueur des élections à venir va revenir dans son giron politique d’origine : la droite. Un tout récent sondage laisse entendre que Forza Italia de S. Berlusconi, le parti d’extrême droite Fratelli d’Italia de Meloni et la Ligue pourraient recueillir 50% des suffrages. La logique de coalition demeure.

Mais avant de revenir aux affaires, peut-être plus fort, qu’hier, Matteo Salvini doit avoir à cœur la future manœuvre budgétaire de l’automne et empêcher l’augmentation de la TVA de janvier qui a pour but d’abonder les recettes de l’Etat et rester de la sorte dans les clous européens. 

Le risque, qui plane est celui d’un gouvernement technique pour conduire cette manœuvre budgétaire, dont nous pouvons imaginer le parfum austère par avance. Mais les italiens gardent un mauvais souvenir de l’expérience Monti de 2011. Le retour de pareil gouvernement paraît insupportable pour l’opinion publique. 

Pour Matteo Salvini, une fenêtre d’opportunité se dessine pour espérer être la force politique du pays majoritaire et qui n’aurait pas à rencontrer une opposition interne. Le chef de la Ligue s’est plaint des ministres du Mouvement 5 étoiles par leurs refus successifs ou leurs attitudes timorées. C’est le refus du M5S de poursuivre les travaux d’excavation rendant possible la ligne Lyon-Turin qui a été le déclencheur de la crise de gouvernement ou encore l’attitude trop conciliante du ministre Tria à l’égard de l’Union européenne. 

Par ailleurs, le succès électoral peut être espéré, car aucune opposition structurée ne se présente sur sa route. Le Parti Démocrate, celui de M. Renzi, a élu un nouveau secrétaire général, mais reste divisé et peu crédible tant les législatures précédentes conduites par leurs représentants laissent des bilans mitigés, pour ne pas dire davantage. Matteo Renzi, ancien président du conseil, annonce le départ de sa formation pour septembre. Fort d’une légitimité aux précédentes européennes, il n’a pas réussi à changer l’orientation de l’Union européenne comme il le prétendait. Probablement Matteo Salvini a compris que demeurer prisonnier d’une coalition qui ne lui permettrait pas de faire valoir ses vues en Europe le condamnerait au même discrédit que son prédécesseur. Mais là encore, M. Salvini reste vague quant à ses rapports avec l’UE. 

La gauche dite sociale-démocrate en Italie vit la même déconfiture que ses consœurs européennes. Elle ne représente plus aucune crédibilité.  La responsabilité historique des gauches européennes dans l’affirmation de l’hégémonie libérale n’est plus à prouver. La gauche a déserté le monde du travail et l’a soumis aux lois du marché. La gauche italienne de M. Renzi ou celle de Prodi a démantelé les droits des travailleurs. 

Il reste à savoir que fera Salvini de sa victoire au sein de sa nouvelle coalition de droite. Les dossiers qui l’attendent sont brûlants : relancer la demande intérieure, endiguer l’exode sudiste. Le dernier rapport de la Svimez ( association pour le développement industriel du midi) indique :  plus de 2 millions de personnes ont quitté le sud de l’Italie entre 2002 et 2017 (principalement des jeunes), le chômage des jeunes qui concerne plus de 30% de la population active,  le patrimoine est dans une situation préoccupante du fait de tant d’années d’austérité, le système sanitaire est proche de l’effondrement tout comme le système universitaire qui a pâti de réformes désastreuses comme celle de l’inénarrable ministre de l’enseignement supérieur de l’époque Berlusconnienne, Maria Stella Gelmini, et l’effondrement démographique d’un vieux pays d’Europe qui contient désormais la part la plus importante des plus de 60 ans dans l’UE à 28.  

Les priorités doivent changer et c’est l’équilibre interne qui doit être visé à savoir la croissance et l’emploi.  Le récit libéral d’une Italie gangrenée par la corruption, le refus du travail et en mal de réformes structurelles doit passer par-dessus bord et vite. 

Soit M. Salvini, devient l’artisan inattendu d’un nouveau miracle italien et acquiert le statut d’homme d’Etat et rompt avec l’euro pour initier une nouvelle ère pour l’Italie contemporaine et met fin à la grande stagnation de ces vingt dernières années. 

Soit il est un politicien de petit pied et oriente sa popularité et ses décisions, dans une surenchère sécuritaire et identitaire désignant les immigrés comme responsables des maux de l’Italie et perd sa législature à régler ses comptes avec des ONG qu’il ne supporte plus, alors encore une fois l’Italie devra souffrir d’un énième enfant du berlusconisme. 

M. Salvini a une opportunité historique de devenir autre chose que le représentant d’une force politique qui a le vent en poupe et essayant aussi d’échapper à un scandale politique « le moscopoli » qui implique encore une fois des représentants de la ligue et des intérêts russes.  

Il peut se hisser au niveau de l’homme d’Etat qui conduit une politique qui va au delà de son camp. On le sait bien entouré en matière économique par des économistes de renom et qui seraient capables de conduire ce changement. L’avenir le dira, mais peut être qu’à l’horizon d’une prochaine législature, quelque chose comme une gauche crédible et audible dans l’opinion pourra surgir. Du Parti Démocrate il n’y a vraiment rien à attendre. L’automne sera chaud en Italie.