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Pour une république souveraine laïque et sociale

L’hôpital à l’heure du lean-management

Par Faouzia Garel-Menouni, le 3 mars 2020

Appliquer à l’hôpital public des méthodes de gestion industrielle, relevait de la science-fiction il y a quarante ans, tant la médecine s’approchait plus de l’art que de la production de masse standardisée. L’apprentissage du métier demande un temps long, la décennie et parfois plus pour certaines spécialités pointues. les CHU- crées il y a soixante ans, pour allier soins, enseignement et recherche sont au cœur d’un système qui bénéficiait d’une réputation mondiale d’excellence. Confronté à une crise inédite, l’hôpital peut de moins en moins remplir sa vocation. Les réformes du système se succédant depuis une trentaine d’année, laissent sceptiques ! Urgences surchargées, délais de rendez-vous de plus en plus longs atteignant dans certains services une année ou plus, files d’attente pour les opérations chirurgicales, épuisement du personnel soignant se traduisant par la dégradation de la relation malades-soignants. C’est dans le nouveau modèle de gestion hospitalière qu’il faut chercher l’explication à cette dégradation de l’hôpital.

L’hôpital public dont la mission première est de dispenser des soins, est désormais soumis aux critères de marché. Les gestionnaires appliquent à la santé des principes de gestion en vigueur dans les entreprises industrielles connus sous le nom de lean management ou gestion en flux tendus. Comme dans une entreprise industrielle, où les stocks doivent être réduits au minimum pour limiter les pertes financières, l’hôpital de stock doit se transformer en hôpital de flux. Mais les stocks dont il est question ne sont pas le linge, les ambulances, ou encore les repas servis, mais les lits occupés par les malades ! C’est le stock de patients hospitalisés qui doit-être réduit pour faire de la place à d’autres entrants -les flux– Un nouveau critère d’évaluation de la gestion hospitalière a fait son apparition, c’est la fameuse DMS (durée moyenne de séjour) que tout hôpital bien géré doit réduire. Mais qui décide du DMS ? Peut-on fixer ex ante, une durée moyenne d’occupation des lits, comme on fixerait le délai d’exécution des tâches dans une industrie ? Voilà qui rappelle étrangement « le chronomètre « de l’organisation taylorienne du travail où le contremaître devait veiller au bon respect du temps d’exécution des différentes opérations concourant à la fabrication d’un produit. On fait rentrer la santé dans la catégorie des biens marchands, alors que les étapes nécessaires pour soigner une maladie ne peuvent être ni standardisées ni leur durée fixée par avance, en raison des impondérables qui peuvent survenir tout au long du parcours des soins.  

La rationalisation de l’offre des soins est désormais au cœur du management hospitalier, car il s’agit in fine de réduire le coût d’immobilisation des lits, estimé en moyenne à 2500 euros par jour, et donc les dépenses publiques de santé. Les praticiens hospitaliers ne peuvent plus de ce fait décider en autonomie de l’organisation de leurs prestations, tenus qu’ils sont de réduire la durée d’hospitalisation et de privilégier autant que possible les soins en ambulatoire.

            Mais outre la fameuse DMS, la rationalisation s’applique également à l’utilisation des équipements de soins, tels que les plateaux chirurgicaux et les divers appareils de radiologie. Il s’agit d’accélérer leur rotation entre un plus grand nombre de malades, avec pour conséquence toujours un allongement des files d’attente que ce soient pour les opérations chirurgicales ou pour les examens radiologiques. Le soignant est tenu d’établir des priorités entre ses patients.

            Le lean-management, c’est aussi la fermeture d’unités jugées non rentables, en raison de leur faible taux de remplissage ; c’est le cas notamment de nombreuses maternités et autres services hospitaliers de province créant ainsi des déserts médicaux et obligeants les malades à parcourir parfois jusqu’à 100-200km pour se rendre à l’hôpital le plus proche.

            Pour gagner en « efficacité », l’hôpital fait désormais appel aux cabinets de consulting dont les prestations sont facturées 1,2 millions d’euros ! Toute une novlangue du management fait désormais partie du vademecum du bon gestionnaire de l’hôpital, obligeant les soignants à consacrer une part croissante de leur temps aux tâches administratives (rapports, bilan d’activité, graphiques divers et variés), et ce aux dépens du temps accordé à la formation des jeunes médecins, et aux malades qui vivent une véritable déshumanisation de l’hôpital. Les chefs de service font reporter une partie de leurs taches sur les internes aux horaires surchargés, pouvant aller jusqu’à 80h par semaine, et ne maîtrisent parfois pas du tout les ficelles du métier. La dépression et les troubles de l’anxiété sont le lot commun de nombre d’internes de médecine.

            « C’est donc avec une générosité affichée que l’administration propose, et imposera sans doute bientôt, au praticien des « journées de séminaire managérial » tels qu’en organisent, sur une vingtaine de jours, l’Ecole des Hautes Etudes en Santé publique (EHESP). Aux frais du contribuable, ce sont consultants, coach, contrôleurs de gestion, charges de mission à la Sous-direction du pilotage de la performance des acteurs de l’offre de soins et mêmes comédiens, footballeurs et ex-négociateur du RAID qui y interviennent. On y traite de « Schémas de gouvernance déclinés en guide de délégation de gestion, lean management, » conception des temps de coordination et de partage », « fonctionnement managérial par la connaissance de soi », « Déclinaison des valeurs comportements » etc1. Le tout bien évidemment entrecoupé du poncif « au service du patient ».

            Interrogeons-nous maintenant la raison d’une telle mue dans la gestion hospitalière ? la réponse de ses concepteurs est invariablement la même : « le fameux trou de la sécu » qu’il faut résorber pour sauver l’hôpital public. Mais paradoxalement, ces nouvelles méthodes de gestion, censées réduire le coût de fonctionnement de l’hôpital n’ont pas produit l’effet escompté, car elles ont conduit au gonflement des niveaux hiérarchiques entre les soignants et la direction de l’hôpital, de sorte qu’une partie des économies réalisées en aval est absorbée par la rémunération des conseillers et gestionnaires dont le nombre tend à augmenter plus vite que celui du personnel soignant.

En définitive, on demande à l’hôpital de faire de l’excellence tout en réduisant chaque jour davantage ses moyens et sa capacité d’assurer un haut niveau de formation du personnel soignant.  Comment mener à bien cette mission avec des tâches administratives chronophages et une réduction du personnel hospitalier ! Nombre de médecins quittent aujourd’hui l’hôpital public pour le secteur privé, qui pratique une tarification des actes à même d’assurer une bonne rentabilité financière. L’indigence de l’hôpital public constitue les prémisses à sa privatisation progressive et la fin de la santé de qualité pour tous.

 

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1-L’hôpital, une nouvelle industrie. Stéphane Velut .  Tracts Gallimard.