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Pour une république souveraine laïque et sociale

Italie – UE : la grande explication

Par Frédéric FARAH, le 19 juin 2019

La Commission européenne finissante a attendu la sortie de la séquence électorale dite des européennes pour engager le fer avec l’Italie en matière budgétaire. Après avoir entendu le bruit des BOT italiens[1], la Commission a clairement envoyé une salve contre le budget italien et a montré les muscles en laissant entendre qu’elle engagerait des sanctions contre ce pays récalcitrant, si l’Italie ne corrigeait pas sa trajectoire budgétaire. La manœuvre n’est évidemment pas qu’économique, elle est surtout politique. La Commission européenne entre en confrontation directe avec Matteo Salvini, qui le sait joue là son avenir politique. S’il ne parvient pas à obtenir les inflexions économiques nécessaires ou mieux en finir avec les contraintes européennes qui brident l’économie italienne, alors il en sera fini de son crédit politique.

Il ne s’agit donc pas de rationalité économique, car en un court paragraphe, il serait aisé de montrer l’ampleur de l’inanité de la recommandation budgétaire européenne. En effet, l’Italie dégage d’importants excédents primaires en matière budgétaire depuis de nombreuses années dont le prix est payé quotidiennement par les italiens : système de santé proche de l’implosion, qualités des infrastructures préoccupantes, système scolaire et universitaire au bord de la rupture.

Économiquement, une cure d’austérité finirait d’achever une Italie dont le choix d’intégrer la zone euro a été le plus funeste pour la péninsule, faut-il encore le rappeler.

Le problème est donc politique, car les mesures jugées contraires à une croissance robuste, selon les dires de la Commission européenne, concernent la sphère de l’Etat social avant toute chose, et dans une moindre mesure sont liées aux dispositifs fiscaux proposés par le gouvernement italien.

En effet, le présent gouvernement a mis en œuvre une série de mesures qui ne pouvaient plaire à la Commission européenne : remise en cause de la « loi Fornero » de l’époque Monti qui se traduisait dans les faits par des retraites plus tardives et moins généreuses, et par la mise en place du revenu dit de citoyenneté, sorte de revenu universel à l’italienne, ou bien encore, le « décret dignité » qui devait lutter contre la multiplication des contrats précaires.

La Commission poursuit de part et d’autre du continent son offensive antisociale plus largement entamée à la faveur de la crise dite des dettes souveraines et cherche à mettre en œuvre un Etat social minimal. Les citoyens le comprennent bien, la bagarre se joue en dehors des urnes et prend toute son ampleur après ce moment récréatif et d’apparence démocratique, celui des élections au parlement européen.

Le « dialogue » entre la Commission et le gouvernement italien, se résume à un affrontement avec l’homme fort du gouvernement italien, M. Salvini. Quant à L. di Maio, il a perdu en poids politique après plus d’un an de législature et de nombreuses défaites électorales. Le premier ministre en titre, M. Conte, est une sorte d’arbitre entre ces deux figures, mais il n’est pas déterminant dans la conduite des affaires italiennes.

Alors y aura-t-il deal ou non ? Les mesures plus sociales sont moins la marque de fabrique de la Ligue dont le fonds de commerce porte sur les questions migratoires, sécuritaires et aussi sur la fiscalité et quelques grands travaux.  

 Salvini, homme fort désormais de la coalition au pouvoir n’a pas porté les projets les plus sociaux du gouvernement, il pourrait les retoquer pour obtenir la bonne grâce de l’UE. Toutefois, son crédit serait entamé car il dit vouloir améliorer le sort des Italiens avant toute chose.  Lui-même serait hésitant à aller vers la sortie de l’euro, car il a expliqué qu’elle ne faisait pas parti du contrat de coalition avec le mouvement 5 étoiles.

Alors peut-être, c’est la sortie par la petite porte qui se prépare, d’où le débat sur les fameux BOT italiens, mais la Commission sachant le peu de pouvoirs de ses sanctions, compte davantage sur les marchés financiers et la BCE pour ramener l’Italie dans le chemin de l’orthodoxie budgétaire.

 Mais l’Italie ne veut pas d’un gouvernement Monti II. On se souvient lors de la délicate formation du gouvernement ligue-5 étoiles, la tentation du président Matarella de vouloir proposer un nouveau gouvernement technique, mais l’initiative fit long feu. Le gouvernement Monti restera dans l’histoire italienne comme l’un des plus calamiteux.

Par ailleurs, M. Salvini dispose d’un crédit politique suffisant pour s’appuyer sur l’électorat populaire si l’affrontement devenait plus sérieux. Mais si la sortie de l’euro n’est pas sur la table, que peut espérer l’homme fort du moment comme compromis satisfaisant ? Si son terrain est celui de la négociation technique, il connaîtra un sort digne de celui de Y. Varoufakis celui d’un personnage falot qui malgré ses rodomontades n’est pas parvenu à préserver les intérêts grecs et dans le cas présent celui des Italiens.

L’Italie n’est pas la Grèce économiquement parlant, 8ème puissance économique du monde, qui réalise d’importants excédents commerciaux. Par ailleurs, la taille de son marché obligataire et l’exposition des banques françaises à la dette italienne invitent à un peu de modération de la part de ceux qui seraient tentés par une position dure à l’égard de l’Italie.  

 D’un point de vue politique, il serait erroné de croire que cette crise potentielle ne concerne que l’Italie, elle souligne encore une fois l’inquiétant problème démocratique du continent. La phase ouverte à partir de la crise de 2008 a porté de sérieux coups à la démocratie en Europe. Pour mémoire on peut se rappeler la destitution des gouvernements Papandreou en Grèce et Berlusconi en Italie en 2011, sous la forme de coups d’Etat d’un genre nouveau, ou bien encore l’imposition à partir de 2010 de trois memoranda à la Grèce, et de la mise sous tutelle et surveillance de Chypre, du Portugal, sans compter l’élaboration, pour l’ensemble des pays de la zone euro, d’un arsenal de mesures chargées de contrôler et de surveiller les budgets nationaux afin d’imposer des réformes structurelles (démantèlement du droit du travail, réduction du périmètre de la protection sociale) .

Un véritable régime d’exception s’est installé en Europe, il a pris la forme de l’ « euro-isation » pour reprendre la terminologie de deux chercheurs[2], Sacriste et Vauchez .

Cette «  euro-isation »   revête une triple dimension selon les auteurs : « la formation en son cœur d’un puissant pole des trésors des banques centrales et des bureaucraties financières nationales et européennes, la consolidation d’un système de surveillance européen des politiques économiques des Etats membres, la re hiérarchisation des priorités politiques et des politiques publiques autour d’une priorité donnée à la stabilité financière, à l’équilibre budgétaire et aux réformes structurelles ».

Ce cadre se construit aux marges de l’architecture institutionnelle européenne. Nos auteurs parlent d’un gouvernement de l’euro « hors les murs » et dont l’un des piliers est l’affirmation d’un pôle financier qui mêle les différents Trésors des Etats membres et des banquiers centraux pour ne citer que eux.

Le rappel à l’ordre à l’Italie est, à ce sujet, un exemple de cette euro-isation à l’œuvre. Il est intéressant d’observer la synchronisation des événements, la menace de sanctions financières a eu lieu le 5 juin, lors de l’annoncée des recommandations du semestre européen.

Par ailleurs, la décision de sanctions, si aucun compromis ne se dessine, est prévu pour le 9 juillet, dans le cadre économique et financier où siègent les directeurs des trésors et les banquiers centraux. Après avis du comité, la Commission fera une proposition qu’elle soumettra lors de la réunion des ministres de l’économie et des finances (Ecofin). Certes la procédure n’est pas nouvelle, mais désormais les autorités qui composent ce comité se voient renforcées depuis la crise dite des dettes souveraines.

C’est pourquoi la grande explication entre l’Italie et l’Ue devrait être l’affaire de tous, parce qu’à l’heure des commentaires souvent bavards sur les nouvelles majorités possibles du parlement, la réalité du pouvoir européen hors de tout contrôle démocratique, s’exerce brutalement sans aucun contre poids et le citoyen reste éloigné de toute prise sur la situation.  

Nous voilà au cœur d’un conflit de légitimité, l’Italien Salvini et son parti ont trouvé un large consensus dans le corps électoral italien. En face de lui, une bureaucratie européenne finissante sans contrôle des citoyens, exige des corrections budgétaires dont les conséquences en matière de justice ou d’injustice sociale sont assez nettement négatives. A nos yeux, seule la légitimité issue des urnes doit prévaloir. Dire cela n’est pas reconnaître une sympathie  particulière pour ce gouvernement mais simplement refuser le chantage financier d’autorités non élues et loin de tout contrôle.

Plus encore, derrière les mots techniques à la réalité scientifique bien souvent discutables, trajectoire budgétaire, déficit structurel, croissance potentielle (et j’en passe) se cache une réalité politique plus crue, comme le soulignait le sociologue italien L. Gallino (dans son ouvrage « la lutte des classes après la lutte des classes »), l’attaque des classes dirigeantes contre les classes populaires se manifeste par les coupures réalisées dans l’Etat providence.

La France au lieu de crier avec les loups devrait montrer sa solidarité avec l’Italie et ne pas jouer la plus vertueuse car elle est aussi dans l’œil du cyclone, si l’on observe les recommandations à son égard contenues dans le semestre européen.

Mais la France joue perdant et ne dispose pas d’élites ou d’un gouvernement à même désormais d’entendre les intérêts de la nation.

Espérons pouvoir sortir de manière ordonnée et pacifique de ce qui est devenue une camisole pour les peuples. Cet « empire non impérial » comme disait Barroso[3] pour désigner l’Union européenne, il faut en espérer la dissolution au plus vite. Il en va de l’avenir de la démocratie.   

 



[1] Sur les minibots, lire ce très intéressant post de blog

Les mini-bots et la stratégie monétaire de l’Italie

[2] https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/1-165OFCE.pdf

[3] Conférence de presse, Strasbourg, 10 juillet 2007.