facebook twitter Contact Forum

Pour une république souveraine laïque et sociale

Aux origines politiques d’un problème économique : l’Euro

Par Alban Mathieu, économiste, le 8 mai 2019

Version Audio :

En suivant les nombreux économistes qui ont travaillé sur le sujet de la monnaie unique, nous pouvons constater que la situation économique des Etats Européens se dégrade. Si la Grèce en demeure l’exemple le plus dramatique et le plus extrême, les politiques économiques qui en sont à l’origine sont appliquées à différents degrés dans tous les Etats Européens. Il nous semble que la monnaie unique construit une compétition économique entre Etats qui les contraint à mettre en place ces politiques économiques. Cependant, cette monnaie résulte avant tout de décisions politiques. En revenant à son fondement politique, nous expliquerons la catastrophe actuelle, la signification particulière du terme « fédéralisme » et la contingence de la monnaie unique.

Mais finalement qu’est-ce que l’Euro ? Produire une réflexion sur ce sujet nécessite de le définir. Nous le considérons un ensemble de règles d’émission, de circulation et de distribution au sens large. Ainsi, les politiques monétaires et budgétaires ne sont que le résultat de règles antérieures qui se résument par ces caractéristiques : mobilité des biens, des services, des personnes et des capitaux, régime de change, mode de financement de l’Etat, objectifs et missions de la Banque centrale, développement et rôle des marchés financiers, existence d’un Etat central et de transferts fiscaux. 

 

L’Euro représente un conflit économique entre Etats

 

Les politiques économiques à l’origine de la situation économique des pays Européens proviennent des règles monétaires de l’Euro et lui sont donc consubstantielles. En reprenant un modèle simple, en présence d’un taux de change fixe et d’une parfaite mobilité des capitaux, un pays, qui subit un dérapage des prix et des salaires, connait soit une augmentation du chômage, soit une dégradation de la balance commerciale. Ce constat s’avère problématique lorsqu’il demeure systématique et qu’il dure dans le temps. Or, si la structure productive peut être la même entre les différents pays, tel n’est pas le cas de leurs marchés du travail. 

En effet, les mécanismes de formation des prix, des salaires et de la productivité dépendent de variables non économiques : système de couverture sociale, modalités et contenu des négociations patronat-syndicats, diversité des niveaux de rémunérations, droit du travail, existence et niveau du salaire minimum… Ainsi, l’évolution du marché du travail, sa réponse aux aléas économiques et aux changements en matière de compétitivité demeure fondamentalement nationale, systématique et différente entre les pays. 

Cette différence d’évolution provoque des différentiels de compétitivité entre pays, ce qui implique des déséquilibre intérieur et extérieur. Les Etats considérés ne disposent que d’un seul moyen dans le cadre de l’Euro pour les résoudre, réduire les coûts de production des entreprises. Les déterminants les plus importants sont traditionnellement, le salaire direct et indirect, la fiscalité sur les entreprises et les règles à respecter lors de la production. Il s’agit donc de flexibiliser le marché du travail, diminuer les impôts sur les entreprises et transférer les coûts des entreprises aux individus par le biais d’assurances chômage ou vieillesse privées.  

Or, ces politiques économiques obligent les autres Etats à réagir puisque leurs situations se dégradent. Par conséquent, la logique de l’Euro consiste à mettre en place une compétition économique entre les Etats qui provoque une baisse constante et progressive de la demande. La diminution des coûts de production conduit à une réduction de la consommation et de l’investissement au sein de la zone monétaire prise en tant qu’ensemble. De plus, cela provoque une augmentation du taux de chômage, incitant les Etats à réduire davantage les coûts de production. Les Etats luttent pour capter une demande effective qui diminue et pour ce faire réduisent par leurs politiques économiques. Plus simplement, il est logiquement impossible que l’ensemble des Etats membres de la zone Euro fonde leur croissance économique sur une stratégie exportatrice intra-Européenne.    

Ce raisonnement conduit à une augmentation de l’endettement privé puis public. En raison des politiques économiques, les dettes privées des entreprises non financières et des individus augmenteront en parallèle de la diminution des salaires et des profits. Pour maintenir leur consommation, les individus emprunteront, alors que les entreprises, confrontées à la baisse de la demande intérieure, s’endetteront. Le montant de cette dette demeure fonction du différentiel de compétitivité du pays considéré. Lorsque ces dettes privées deviendront insoutenables, la dette publique progressera soit pour stabiliser la situation économique, soit à cause de la baisse des recettes publiques. 

Si l’on rajoute les critères budgétaires, hérités du traité de Maastricht et réaffirmés par d’autres traités par la suite, la compétition économique en sort renforcée. Le respect des seuils de 3% et de 60% sur le déficit et la dette publique conduit à la mise en place de politiques procycliques et anti-stabilisatrices. Pour respecter ce principe d’équilibre budgétaire, les Etats doivent soit réduire leur dépense publique, soit augmenter les impôts sur les ménages. Or, cette action produit l’effet contraire à celui souhaité, puisqu’elle provoque une baisse de la demande et mécaniquement des recettes fiscales. 

Ces politiques procycliques renforcent la compétition économique autant qu’elles résultent de cette dernière. D’un côté, la compétition économique augmente les dettes publiques et, d’un autre côté, la baisse des dépenses publiques provoque un accroissement du taux de chômage renforçant les incitations en faveur d’une réduction des coûts de production. A terme, ce conflit, cette lutte économique entre Etats remet en cause la croissance de la production et donc de la reproduction de la société. 

Les travaux des économistes et les données empiriques viennent conforter ce raisonnement. Les différences d’évolution de la demande domestique, c’est-à-dire des salaires, depuis l’entrée en vigueur de l’Euro, ont modifié les taux de change réel entre pays. L’écart dans les taux de croissance du coût de travail explique la dégradation ultérieure de la balance commerciale des pays qui perdent en compétitivité. Pour y remédier, ces pays ont mis en place les politiques économiques décrites dans les paragraphes précédents. 

Chronologiquement, ces politiques économiques ont été mises en place à la suite de la crise des subprimes en 2008. Cependant, il ne faut pas attribuer à cette crise financière l’origine de ces déséquilibres. Elle a certes accéléré ou accentué ces derniers, mais elle n’en est pas la cause, laquelle demeure la compétition économique. L’accroissement de la dette privée est bien antérieur à la crise financière, tandis que la formation brute de capital fixe demeure en deçà des autres pays développés.

Confrontés à cette compétition économique, qui affaiblit la croissance de la production et conduit à une augmentation de l’endettement, les pays Européens semblent inertes. Comment expliquer cela ? Comment expliquer la permanence de l’Euro ? Pourquoi aucun transfert public ou aucune entité politique fédérale n’a été pas développé ? 

 

Le fondement politique de la monnaie unique : une lutte de pouvoir entre les gouvernements français et allemand

 

En revenant au moment fondateur de la monnaie unique, les négociations intergouvernementales du traité de Maastricht, il s’agit d’examiner les motifs politiques qui l’ont construite pour fournir des clefs de compréhension, car bien loin des justifications fournies, l’Euro concrétise une lutte de pouvoir entre deux Etats. En nous concentrant sur ces négociations, les acteurs peuvent être sélectionnés et les motifs politiques compris. Les exécutifs de chaque pays étaient en charge des négociations auxquels il faut ajouter les banques centrales par leur participation à la rédaction des travaux préparatoires. Pourtant, les exécutifs n’étaient pas égaux. Les gouvernements français et allemand représentaient les forces motrices qui choisissaient et décidaient, les autres Etats, dominés, ne pouvait que les suivre dans l’intention d’améliorer leur propre situation politique ou économique. 

Ces deux gouvernements étaient motivés par un même type de raison, accroître leur pouvoir, qui prenait forme au sein de l’objet « Euro ». Le gouvernement français, avec à sa tête François Mitterrand, considérait que la monnaie unique améliorerait les marges de manœuvres budgétaires et monétaires de la France. Depuis le Système monétaire Européen, les politiques monétaires et budgétaires françaises étaient de plus en plus contraintes par les décisions allemandes, notamment celle de la Bundesbank. Par la création d’une monnaie unique, la souveraineté monétaire deviendrait partagée et la France ne serait plus dépendante mais au contraire participante. 

Une telle interprétation a été rendue possible par la décision de mars 1983 avec la mise en œuvre de la politique de rigueur. Reniant le programme économique sur lequel le parti socialiste avait été élu, l’exécutif a décidé de rester à l’intérieur du SME et d’abandonner la politique de relance économique. Cependant, la théorie de la conversion soudaine des élites socialistes à la stabilité des prix et au franc fort doit être nuancée. Dès le début, des membres en faveur des politiques d’austérité étaient présent au sein du gouvernement, notamment Pierre Mauroy le premier ministre et Jacques Delors le ministre de l’économie. 

Les trois dévaluations de septembre 1981, juin 1982 et mars 1983 ont grossi les rangs des partisans de la rigueur jusqu’à ce qu’ils deviennent dominants. Dans le même temps, l’engagement de François Mitterrand en faveur du « projet Européen » était constant depuis son entrée en politique. Pour cette raison, il interprétait les dévaluations comme un signal négatif envers les Etats membres et notamment l’Allemagne. Ces éléments ont motivé l’application de la politique de rigueur pour atteindre la stabilité des prix et assurer le développement du franc fort, condition de la prééminence politique au sein du SME. L’intégration monétaire et la constitution d’un marché unique, acté par le marché intérieur en 1986, devenaient les nouveaux objectifs de l’exécutif socialiste pour améliorer la relation franco-allemande et constituer un gouvernement économique dans lequel prendrait forme cette prééminence politique au sein de la construction Européenne. 

Cependant, la spéculation des marchés financiers qui a conduit aux dévaluations de 1983, 1986 et 1987 mettait à mal cette orientation. L’unification monétaire Européenne venait remédier à ces difficultés. La France pouvait partager la souveraineté monétaire avec l’Allemagne, accéder à la prééminence politique au sein de la construction Européenne et lutter contre les effets spéculatifs de la finance. En liant le pouvoir économique et monétaire de l’Allemagne à la France par une monnaie unique et une zone commerciale, l’exécutif socialiste pensait donc améliorer sa souveraineté monétaire via un gouvernement économique. 

Le gouvernement allemand envisageait l’unification monétaire à partir d’un prisme bien différent. L’intégration Européenne devait servir à consolider la réconciliation franco-allemande et ainsi prémunir toute résurgence du nazisme au sein de la société allemande. Ce gouvernement, comme toute l’élite allemande, considérait que la réunification de la RFA et de la RDA passerait par l’intégration Européenne. Kohl, le chancelier, souhaitait également intégrer une seconde conférence intergouvernementale pour que son pays redevienne une nation « normale » par rapport aux autres. En effet, l’Allemagne était toujours officiellement occupée par l’armée française qui disposait de 50 000 hommes répartis sur l’ensemble du territoire de la RFA. L’« Union politique » a été proposée à cette fin puisqu’elle instaurait une politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et une coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures (JAI). Elle ne consistait donc pas à la fondation d’un quelconque « fédéralisme Européen ».

Contrairement à la situation institutionnelle française, la Bundesbank était indépendante, garante des principes monétaires de l’ordolibéralisme et pouvait mobiliser à tout moment des coalitions politiques pour stopper l’unification monétaire. L’ordolibéralisme n’était pas seulement une philosophie économique populaire en RFA qui prônait la stabilité des prix comme condition de la prospérité économique, mais constituait bien un mythe fondateur de la nation allemande. C’est l’histoire économique spécifique de l’Allemagne qui a contribué à la construction de ce mythe et à l’impératif d’une Banque centrale indépendante pour garantir la stabilité des prix. Cette perspective soutenait également le modèle de croissance de l’Allemagne qui était basé sur stratégie exportatrice. En effet, par la maîtrise des prix, et donc des salaires, l’Allemagne pouvait maintenir une compétitivité plus élevée que ses voisins. 

Malgré un accord formel réalisé sous la forme d’une lettre envoyée à Kohl par Pohl, le président de la Bundesbank, dans laquelle il reconnait l’avènement de l’union monétaire, ce dernier craignait un accord de transfert graduel de souveraineté monétaire et une politique monétaire qui ne fût pas assez orientée vers la stabilité des prix. Il pouvait donc se rétracter à tout moment et bloquer l’unification monétaire. La chute du mur de Berlin a permis de dépasser ce blocage potentiel, mais aussi de faire concorder les objectifs des deux gouvernements. Avec la proposition d’une « Union politique » formulée par Kohl, les deux gouvernements ont trouvé un accord, montrant l’importance des problèmes de sécurité pour arriver à un compromis.

 

Contingence et organisation de l’union monétaire Européenne

 

Ce problème géopolitique et de sécurité nationale semble avoir été déterminant pour l’avènement de la monnaie unique, mais une incertitude reste en suspens : jusqu’à quel point ? A-t-il accéléré le processus politique ou était-il nécessaire pour aboutir à un accord entre les exécutifs ? Lorsque l’on se concentre sur les relations entre les gouvernements français et allemand, la chute du mur de Berlin semble bien avoir facilité et accéléré l’accord politique. En déplaçant l’angle d’analyse à la situation domestique allemande, on constate que Kohl n’a pu faire accepter l’unification monétaire que grâce à la chute du mur de Berlin. 

Comme nous l’avons dit précédemment, la Bundesbank pouvait à tout moment bloquer le processus politique en mobilisant des pans de la société allemande, notamment les organisations bancaires et industrielles, en agitant la crainte de l’inflation. Or, la réunification allemande, directement liée à l’intégration Européenne, offrait à ces organisations un nouveau marché source potentielle de profits. Le soutien à la Bundesbank s’est déplacé au profit de Kolh et l’unification monétaire. Ainsi, la chute du mur de Berlin a constitué un saut qualitatif nécessaire à l’acceptation par la Bundesbank de la monnaie unique. 

Cette digression demeure centrale du point de vue politique et de l’évolution ultérieure des institutions monétaires Européennes. Une fois les objectifs politiques atteints, la seule préoccupation de l’exécutif allemand s’est focalisée sur une généralisation au niveau Européen des principes monétaires ordolibéraux pour assurer la stabilité des prix. L’accomplissement de ces objectifs politiques a impliqué le maintien du statu quo dans les futurs rapports de force avec le gouvernement français. D’autant plus que les actions de l’exécutif allemand ont été dépendantes d’une crise géopolitique d’ampleur internationale (la réunification de l’Allemagne), seule à même de bouleverser les équilibres,  les coalitions politiques étant demeurées fondamentalement en faveur de la défense des principes monétaires ordolibéraux.

Cette concordance d’objectifs politiques sur l’objet Euro demandait une seconde étape, l’organisation et la détermination des règles monétaires. Ces dernières n’ont pas été difficiles à réaliser car les deux exécutifs partageaient une même idéologie monétaire : stabiliser le niveau général des prix pour assurer le fonctionnement du marché intérieur. Il faut toutefois souligner que des conflits ont émergé au sein de ce cadre autour de trois points : la proposition française de gouvernement économique, l’indépendance de la banque centrale et la mise en place d’une date déterminée pour l’entrée en vigueur de la zone Euro. 

L’exécutif français acceptait la mise en place d’une banque centrale ou encore les critères de convergence économique, mais souhaitait également établir un gouvernement économique pour renforcer l’ECOFIN et le Conseil Européen. Cette proposition était inacceptable pour l’exécutif allemand puisque cela contrevenait au principe même d’indépendance de la future banque centrale indépendante et à ses objectifs en matière de stabilité des prix. Les actions de cette Banque centrale devaient être guidées par des règles strictes et intouchables visant à rejeter la décision politique en dehors de la gestion de la politique monétaire. C’est également pour cette raison qu’il était interdit de financer directement les Etats. Si l’exécutif allemand a bien concédé que l’Euro soit introduit selon une date précise, il avait le pouvoir de décider les institutions monétaires. En effet, l’Allemagne était en position de force grâce à son hégémonie monétaire puisque sa participation s’avérait impérative au bon fonctionnement de la nouvelle monnaie. 

Le caractère supranational des institutions monétaires Européennes et leurs règles strictes et intouchables, si décriés et critiqués, résultent donc des décisions politiques entreprises par les gouvernements allemand et français. D’un côté, ces derniers cherchaient à accroître leur souveraineté et à garantir leur sécurité nationale. Ainsi, aucune entité politique Européenne ne pouvait être mise en place, ce qui conduisit inévitablement à la constitution d’institutions monétaires supranationales. D’un autre côté, la généralisation des principes monétaires ordolibéraux au sein du cadre supranationale a conduit à la mise en place de règles strictes et intouchables. On aboutit alors à une délégation de la souveraineté monétaire à des institutions monétaires supranationales respectant et suivant des règles précises pour leurs actions. 

Plusieurs interprétations suivent ce constat. Premièrement, la monnaie unique doit être reconsidérée pour ce qu’elle est : un enjeu de lutte entre les Etats allemand et français pour accroître leur pouvoir et non un projet vers une future fédération. A ce titre, le concept de « fédération Européenne » souvent employé peut-être réinterprété à la lumière de cette simple définition du fondement politique de la monnaie unique. Il ne signifie pas l’avènement d’un Etat Européen mais le renforcement de la supranationalité des institutions monétaires Européennes.

Deuxièmement, la compétition économique entre les Etats et ses conséquences économiques proviennent directement des décisions politiques des gouvernements français et allemand. Si les logiques de pouvoir ont construit la compétition économique, montrant ainsi que l’Euro est un espace de conflits multiples, cette dernière n’est pas de même nature pour les Etats. D’un côté, elle a été choisie par les Etats français et allemand alors qu’elle a été subie par les autres Etats. D’un autre côté, ce constat a pris toute sa pertinence dans le cas de la Grèce qui a été contrainte d’accepter de perdre son autonomie pour rester au sein de la zone Euro, ce qui démontre une hiérarchie entre Etats.  

Troisièmement, le gouvernement allemand a atteint ses objectifs politiques contrairement au gouvernement français. En effet, il a réussi à réaliser l’unification allemande et a fait redevenir son pays une Nation « normale », alors que l’exécutif français est toujours en quête d’une amélioration de sa position face à l’Allemagne pour mieux la contrôler et partager la souveraineté monétaire. Dire ceci signifie que les gouvernements français tentent de maintenir leur désir hégémonique au sein de l’Europe par l’Euro. A ce titre, la ratification du traité de l’Elysée et la proposition de partager son siège de l’ONU constituent un levier pour le gouvernement français pour garder une certaine prééminence politique dans la zone Euro. Pourtant ce désir hégémonique français demeure paradoxal puisque l’accroissement de sa souveraineté monétaire conduit à une délégation de celle-ci à des institutions supranationales chargées de faire respecter des règles monétaires strictes.  

Pour expliquer ce paradoxe, il faut revenir à l’idéologie monétaire mobilisée et aux objectifs politiques français. D’une part, l’acceptation de la mondialisation et de son impératif de compétitivité a renforcé le besoin d’une stabilité des prix très forte. Réaliser l’unification monétaire renforçait cet objectif et la délégation de la souveraineté monétaire n’en était pas une puisque la stabilité demeurait le seul but de la politique monétaire. D’autre part, lier l’Allemagne à la France constituait le moyen de maintenir sa position hégémonique par rapport aux autres Etats Européens et de rester sur un pied d’égalité avec l’Allemagne.

 

Conclusion 

 

Les relations entre les gouvernements français et allemand ultérieurs au traité de Maastricht confirment notre interprétation de la genèse de l’Euro. D’une part, l’évolution des traités en ce qui concerne la monnaie unique corrobore notre analyse. Que cela soit avec le pacte de stabilité et de croissance ou le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), les critères de convergence économiques sont devenus plus strictes. D’autre part, le traité d’Amsterdam rappelle la volonté française de construire un gouvernement économique. La proposition de Parlement économique, faite par François Hollande lors de sa présidence et reprise par Piketty, s’inscrit au sein de cette perspective. Comme dans le cas précédent, l’exécutif allemand a modifié les règles pour que finalement ce qui allait devenir l’Eurogroupe demeure informel et cherche uniquement améliorer la coordination des politiques économiques des Etats membres en faveur de stabilité des prix. 

Les trois raisons présentées précédemment expliquent la permanence des règles monétaires malgré les résultats économiques. L’Euro découle de rapports de force entre l’Allemagne et la France qui ne désirent donc pas mettre en place de transferts budgétaires ou un Etat fédéral puisque cela reviendrait à nuire à leurs objectifs politiques, mais aussi à remettre en cause la compétition économique entre Etats. En outre, notre analyse prouve que tout changement institutionnel de l’Euro présuppose une volonté politique, une modification de l’idéologie monétaire et une crise géopolitique majeure. La crise de l’Euro est donc avant tout une crise politique bien avant d’être une crise économique. 

Nous pouvons terminer cette présentation en réfléchissant et en jugeant le résultat des objectifs politiques de l’exécutif français. Sur la base de ce qu’est l’Euro, un objet qui concentre des luttes de pouvoir entre les gouvernements allemands et français, la volonté du gouvernement français d’accroître ses marges de manœuvres budgétaires et monétaires à son profit semble être un échec. Au contraire, la mise en place de règles strictes est venue couronner la victoire allemande. De même, les gouvernements français ont échoué à contrôler l’Allemagne que la compétition économique à relativement renforcée. 

A ce titre, la pérennisation du conflit politique au sein des élites françaises implique la présence d’autres motivations. Plusieurs hypothèses peuvent être soulevées. Les élites pourraient estimer que le coût de la sortie de l’Euro serait trop élevé pour considérer cette option. Cependant, cette défense de l’Euro demeure seulement négative par rapport à un futur potentiel et suppose de considérer d’autres possibilités. L’idée de servitude volontaire pourrait être mobilisée à deux niveaux pour expliquer la défense de l’Euro. D’un côté, les intérêts français se seraient modifiés pour correspondre à ceux de l’Allemagne acceptant de fait sa domination. D’un autre côté, l’Euro pourrait être considéré comme un moyen de pression pour entreprendre les politiques souhaitées puisque l’Etat demeure contraint de réformer son système de protection sociale, sa fiscalité et son marché du travail. 

 

Pour aller plus loin

Mathieu, Alban (2018). Monnaie, pouvoir et Etats. Une analyse du régime politique de la monnaie Européen. Thèse de doctorat. Université Lyon II lumière sous la direction de Jérôme Blanc.

Baun, Michael J. (1995). « The Maastricht Treaty as High Politics: Germany, France, and European Integration », Political Science Quarterly, 110 (4), p. 605-624.

Dyson, Kenneth H. F., et Featherstone, Kevin. (1999). The Road to Maastricht: Negotiating Economic and Monetary Union. Oxford, United Kingdom: Oxford University Press.

Fulla, Mathieu. (2018). “Quand Pierre Mauroy résistait avec rigueur au « néolibéralisme » (1981-1984) », Vingtième Siècle. Revue d’histoire, vol. 2 (138), p. 49-63.

Parguez, Alain. (2000). « For whom Tolls the Monetary Union: The Three Lessons of the European Monetary Union », The Conference on Monetary Union, Ottawa, October.